vendredi 16 mars 2007

Dangereuse spirale

Après le choc des attentats du 16 mai, l’Etat s’est solennellement engagé à éradiquer ces baraques de la honte d’où est sortie la douzaine de kamikazes.
Quatre ans plus tard, rien n’a été fait ou presque dans les banlieues paupérisées de Casablanca, terreau fertile de la terreur. Dans les bidonvilles de Sekouila et de Kariane Thomas, la situation est toujours aussi invivable. On n’a pas compté une seule masure démantelée. Aux habitants dépités, on a consacré quatre recensements et fait des promesses non tenues. En clair, on leur a tourné le dos et préféré l’approche sécuritaire qui montre aujourd’hui ses limites. Résultat, non seulement les déçus se radicalisent davantage, mais pire, ceux raflés en masse en 2003 (dont certains ont été graciés comme Abdellfatah Raydi, l’auteur du dernier attentat manqué) iront grossir un jour les rangs des candidats au Jihad. Pourquoi l’Etat parait-il si désarmé face à la misère rampante ? La réponse se trouve très certainement dans les défaillances de sa stratégie de développement humain. Et sur ce plan, contrairement aux idées reçues, le Maroc est à la traîne. Un tout récent rapport des Nations Unies vient le confirmer : Lors du sommet du millénaire organisé par l’ONU en septembre 2000, huit objectifs de développement (connus sous l’acronyme OMD) ont été fixés pour 2015 à un certain nombre de pays, dont le Maroc. Ils portent essentiellement sur un fléchissement de moitié de la pauvreté, la généralisation de l’éducation de base, la réduction de la mortalité infantile, la promotion de l’égalité des sexes etc… Afin d’évaluer la performance du Maroc et d’évaluer la dynamique de ses réalisations pour cette batterie d’indicateurs sociaux, les Nations Unies ont réalisé une étude comparative avec un groupe de pays aux économies similaires comme la Tunisie, l’Algérie, ou encore le Sénégal. Sur les six domaines analysés, les conclusions sont inquiétantes pour le royaume. Si les tendances actuelles se confirmaient à l’horizon 2015, le Maroc n’atteindrait pas la plupart des OMD fixés il y a de cela sept ans. Pour le seul chantier de la lutte contre la pauvreté, le Maroc affiche un taux médiocre de 14,2% contre les 21% relevés au début de la décennie 90, alors que la Tunisie a déjà fait l’essentiel du chemin en réduisant pratiquement de 50% son taux de pauvreté entre 1990 et 2000.
Pour ce qui est du taux d’analphabétisme, le Maroc est dans une situation plus qu’alarmante : pas moins d’un Marocain sur deux ne sait ni lire, ni écrire, ce qui le relègue au niveau des pays les moins avancés de la planète et la tendance est très loin de s’inverser. Ces constats renseignent sur au moins une évidence majeure : la politique du pays en matière sociale est inopérante, ce qui veut dire que l’effort consenti est bien en deçà du minimum acceptable. Les réalisations affichées par le régime sont non seulement insuffisantes et souvent mal orientées, mais (et ce que révèle avec acuité ce rapport) pâtissent d’une cadence trop lente pour faire émerger le pays.
Cette situation rappelle en réalité les carences de l’ancien régime. Sous Hassan II, des réalisations ont été faites mais le bilan global de son règne a été émaillé de révoltes urbaines et d’irruptions sociales dramatiques. Aujourd’hui (le rapport onusien l’atteste), les mêmes travers risquent de se répéter dans un environnement mondial encore plus torturé par la mondialisation. L’urgence est donc là. Les promesses de mesures comme celles inscrites dans les programmes hétéroclites de l’INDH (pour ne citer que cet aspect du développement humain) sont donc à réviser de fond en comble. A défaut, l’enlisement du Maroc dans la misère se traduira inexorablement par un chapelet incessant de 16 mai.

Par Ali Amar pour Le Journal Hebdomadaire (n°294)

Commentaire personnel :

Bien que le lien entre le terrorisme et le sous-développement soit connu et reconnu par tout le monde, cet excellent éditorial relie ces deux phénomènes en s'appuyant sur des statistiques de l'ONU, fidèle à la tradition du Journal Hebdo. Malheureusement, les officiels ne voient pas l'affaire de cet oeil et n'ont rien fait de concret depuis 2003 pour endiguer le terrorisme en éradiquant ses causes, à savoir en premier lieu la pauvreté.

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